Que penser de la greffe d’utérus ?
Anne-Blandine Caire, Université Clermont Auvergne (UCA)
La première naissance d’un bébé, aux Etats-Unis, à la suite d’une greffe d’utérus, a été annoncée le 1er décembre 2017. Le dernier décompte connu faisait état, en septembre 2017, de 8 bébés nés dans le monde depuis 2014 grâce à cette technique encore expérimentale, selon l’Académie Sahlgrenska en Suède.
En France, le CHU de Limoges poursuit son essai clinique prévoyant la greffe de 8 patientes, démarré en 2015. Depuis, 139 femmes se sont portées candidates, et plusieurs sont maintenant en attente d’un greffon compatible.
La transplantation d’utérus pourrait en effet permettre de remédier à l’infertilité utérine résultant, chez une femme, de l’absence d’utérus à la naissance, ou bien d’une ablation pour cause de cancer ou de complications d’une grossesse.
La greffe d’utérus semble s’inscrire dans la tendance actuelle au rapprochement de la médecine et de l’anthropotechnie. Cette dernière, définie comme l’ensemble des techniques favorisant le développement biologique et culturel de l’homme, contribue à l’amélioration de l’être humain, c’est-à-dire à l’avènement d’un homme augmenté. À l’heure où certains évoquent le transhumanisme comme le nouvel âge d’or d’une humanité renouvelée qui se sera départie des contingences traditionnellement liées à sa condition (la maladie, la vieillesse, la souffrance et même la mort), la greffe d’utérus participe bien de cette tendance à améliorer l’humain. Elle vise en effet à accroître les capacités génésiques des femmes en leur donnant ce qu’elles n’avaient pas ou n’avaient plus : un utérus.
Made in Limoges
Initialement, on est loin, très loin, du Limousin. Qu’on en juge : la première greffe de ce type a eu lieu en Arabie Saoudite au début des années 2000 et s’est soldée par un échec. Par la suite, les recherches se sont poursuivies en Turquie. Puis ce sont des chercheurs suédois qui se sont penché sur la question, menant des expériences sur des animaux, comme des souris, des brebis ou encore des babouins, avant de réaliser des transplantations utérines sur des femmes. Plusieurs enfants ont pu naître à la suite de ces transplantations. Finalement, en France, l’ANSM (Agence Nationale de Sécurité du Médicament) a validé le 5 novembre 2015 les recherches sur la transplantation utérine : l’autorisation a été accordée à une équipe du Centre hospitalier universitaire de Limoges.
Le protocole validé par l’ANSM autorise la réalisation d’un essai clinique portant sur huit femmes volontaires, âgées de vingt-cinq à trente-cinq ans, n’ayant jamais eu d’enfant et en bonne santé. Les utérus greffés ne proviendront pas d’une donneuse vivante comme cette infirmière de 36 ans, mère de deux enfants, dont le don a permis la première naissance aux Etats-Unis, mais de femmes en état de mort cérébrale. L’objectif est d’éviter les complications chirurgicales aux donneuses, sachant que l’organe greffé n’est pas vital pour la receveuse.
Les Limougeauds ne pourront que se féliciter du dynamisme de leur Centre hospitalier universitaire qui n’en est plus à son coup d’essai en matière d’innovation : on pense entre autres aux prothèses crâniennes en céramique fabriquées par l’entreprise 3DCeram ou encore, pour en revenir au domaine de la gynécologie obstétrique, à la première greffe de tissu ovarien. De leur côté, les juristes, ces coupeurs de cheveux en quatre, profiteront de l’occasion pour se poser des questions… auxquelles ils ne répondront pas forcément.
Comment légiférer sur la greffe d’utérus ?
Dans la mesure où la greffe d’utérus n’a pas dépassé le stade expérimental, aucune intervention du législateur n’est nécessaire dans l’immédiat. Cependant, si la transplantation utérine devient une pratique clinique reconnue, elle requerra sans doute un encadrement juridique particulier tenant compte de ses spécificités.
D’un côté, la greffe d’utérus s’apparente à une technique de procréation médicalement assistée (PMA). Elle poursuit en effet le même objectif, à savoir la conception d’un enfant, et sera combinée à une fécondation in vitro au cours de laquelle un don d’ovocytes sera parfois nécessaire. La définition de la PMA telle qu’elle résulte de l’article L2141-1 du Code de la santé publique semble actuellement trop précise et trop restreinte pour intégrer la greffe d’utérus et nécessitera sans doute quelques ajustements. Il n’en reste pas moins que son régime est transposable à cette greffe.
La PMA vise à remédier à l’infertilité pathologique, médicalement diagnostiquée, d’un couple. C’est aussi le cas de la transplantation utérine. Par ailleurs, la PMA concerne les couples hétérosexuels, vivants et en âge de procréer, autant de conditions qui sont applicables à la greffe d’utérus. Mais le rapprochement avec la PMA ne semble pas autoriser les transsexuels hommes devenus femmes à bénéficier d’une greffe d’utérus, leur infertilité n’étant pas pathologique. Les femmes célibataires seront également exclues si l’accès à la PMA n’est pas élargi.
D’un autre côté, la greffe d’utérus est également une transplantation d’organe et doit à ce titre respecter certaines règles. Si les utérus continuent à être prélevés seulement sur des personnes en état de mort cérébrale, les difficultés devraient être limitées, les risques étant bien moins grands qu’en cas de prélèvement sur une donneuse vivante. Cela étant, la greffe d’utérus présente deux caractéristiques qui suscitent la réflexion : non seulement elle n’est pas vitale et ne vise qu’à rendre possible une grossesse, mais encore elle est éphémère puisque l’utérus sera retiré après une ou deux grossesses en raison des effets indésirables de l’immunosuppression. Partant, les difficultés juridiques se concentrent sur un aspect : la greffe d’utérus est-elle réellement thérapeutique ou non ?
Traditionnellement, la vocation thérapeutique est la condition sine qua non permettant à une greffe d’organe d’être réalisée. Tout dépendra donc ici du sens que médecins et juristes entendront donner au terme « thérapeutique ». Ainsi, au gré de quelques aménagements, le Code de la santé publique semble tout à fait apte à encadrer la greffe d’utérus si cette dernière dépasse le stade expérimental.
Mieux que la gestation pour autrui ?
Un autre aspect de la greffe d’utérus ne manquera pas d’éveiller l’attention des juristes : elle est généralement présentée comme une manière de remédier à l’interdiction de la gestation pour autrui (GPA). Rappelons que le recours aux mères porteuses est prohibé en France par l’article 16-7 du Code civil et que cette interdiction, bien que fréquemment contournée par des couples qui se rendent à l’étranger pour recourir à des mères porteuses, est d’ordre public.
La mise en relation de ces deux procédés n’est cependant pas évidente. La GPA et la greffe d’utérus ont certes un objectif commun, la naissance d’un enfant, mais leurs modalités diffèrent considérablement. Les comparer, c’est comparer l’incomparable. En outre, on ne voit pas en quoi la prohibition de l’une favoriserait l’autorisation de l’autre.
À quand l’utérus artificiel et la grossesse masculine ?
Si la greffe d’utérus nous préoccupe actuellement, on ne saurait cependant oublier qu’une autre option existera peut-être un jour, laquelle posera des problèmes juridiques encore plus… stimulants : l’ectogenèse. Ce terme, forgé par le généticien John B. S. Haldane dans les années 1920, désigne la gestation dans un utérus artificiel. Une expérimentation réussie de spécialistes de néonatologie aux États-Unis a permis de tester récemment sur des agneaux un système de poche des eaux et de placenta artificiel. Cette forme de gestation qui se trouve au cœur du roman d’Aldous Huxley, Le meilleur des mondes, pourrait susciter l’engouement des transhumanistes et surtout, des féministes.
À l’heure où la grossesse reste sans doute le premier vecteur d’inégalité entre les hommes et les femmes, l’utérus artificiel pourrait se présenter comme un remède miracle : le médecin et philosophe Henri Atlan lui a d’ailleurs consacré un ouvrage enthousiasmant. Son statut juridique poserait néanmoins de nombreuses questions. En déshumanisant le fœtus comme la conception in vitro déshumanise l’embryon, un tel utérus viendrait à coup sûr prolonger le débat éthique relatif à l’artificialisation de la procréation, débat initié par la PMA et relancé par la greffe d’utérus.
Anne-Blandine Caire, Professeur de droit privé et de sciences criminelles – École de Droit – Université d’Auvergne, Université Clermont Auvergne (UCA)
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.