Syndrome des ovaires polykystiques SOPK : une piste impliquant l’hormone œstradiol pour mieux comprendre cette maladie
Clémentine Marie, Université Paris Cité
Le syndrome des ovaires polykystiques (SOPK) provoque de nombreuses anomalies, notamment du cycle menstruel, et représente la première cause d’infertilité féminine. De récentes études mettent en évidence un mécanisme qui bloque l’action de l’œstradiol, une hormone œstrogénique essentielle à l’ovulation.
Le syndrome des ovaires polykystiques (ou SOPK) reste encore peu connu du grand public. Il s’agit pourtant de la pathologie hormonale la plus fréquente chez les femmes en âge de procréer. Elle touche 5 à 10 % d’entre elles et représente ainsi la première cause d’infertilité féminine dans le monde.
Cette pathologie provoque des troubles de l’ovulation. Elle peut également occasionner plusieurs complications et « comorbidités », comme l’hyperpilosité, l’acné, ou des troubles métaboliques tels que le surpoids et l’obésité. Son nom prête à confusion et n’aide pas à la compréhension des mécanismes en œuvre. Car non, le syndrome des ovaires polykystiques n’est pas dû à des kystes.
Alors quelles sont les causes du SOPK ? Mes récents travaux de recherche ont mis en évidence un mécanisme qui implique l’oestradiol, une hormone de la famille des oestrogènes. L’œstradiol est essentiel à l’ovulation. Nous avons pu démontrer que, chez les femmes atteintes de SOPK, un mécanisme bloque l’action de cette hormone et l’empêche de jouer son rôle.
Ovulation : retour sur le processus physiologique
Pour mieux comprendre les mécanismes en cause, revenons d’abord au processus physiologique de l’ovulation.
La fécondation se produit quand un spermatozoïde et un ovocyte, couramment appelé « ovule », se rencontrent. Les hommes renouvellent leur stock de spermatozoïdes tous les deux mois et les expulsent lors de l’éjaculation. Les femmes, en revanche, naissent avec un stock d’ovocytes bien défini. En l’absence de contraception hormonale, elles expulsent un seul ovocyte (occasionnellement deux), une fois par mois, pendant environ 30 ans. Et tout ce mécanisme se passe dans les ovaires.
Or, chaque ovaire contient énormément d’ovocytes. Chaque ovocyte est entouré d’une sorte de capsule que l’on appelle un follicule. Son rôle : protéger et nourrir un ovocyte. Ce follicule, constitué de millions de cellules, évolue au cours du temps et grossit. L’ovulation se produit quand le follicule atteint une taille et un état de maturité suffisants, c’est-à-dire la capacité d’expulser l’ovocyte de l’ovaire.
L’ovulation vue comme un « concours de follicules »
Mais ce n’est pas si simple. En réalité, on pourrait comparer l’ovulation à « un concours de follicules ». Chaque mois, les dix follicules les plus matures vont se porter candidat pour expulser leur ovocyte. Mais il n’y aura qu’un seul gagnant. Pour gagner ce concours, chacun des dix follicules va produire une hormone féminine super puissante : l’œstradiol. Et l’œstradiol joue un rôle capital puisqu’il est, en quelque sorte, le grand sélectionneur du concours de follicule. Quand tous les follicules candidats baignent dans cet océan d’œstradiol, le concours commence.
Très sévère, l’oestradiol observe chaque follicule candidat et procède à la sélection par élimination ! S’il estime qu’un follicule n’est pas suffisamment gros ou insuffisamment mature, il l’élimine en tuant ces cellules. La sélection est drastique, jusqu’à ce qu’il ne reste qu’un seul follicule. L’œstradiol induit alors la croissance des cellules de ce follicule qui, arrivé à maturité, expulse l’ovocyte de l’ovaire.
Le SOPK : quand l’ovulation devient chaotique
Mais chez certaines femmes, le processus ne se passe pas correctement. Tous les mois, trop follicules candidats – plus d’une vingtaine, soit le double de la normale – s’accumulent dans leurs ovaires. Les follicules sont si nombreux que l’ovaire des femmes concernées ressemble à une grande grappe de raisin, comme une masse de kystes. D’où le nom de « syndrome des ovaires polykystiques ».
Pourquoi est-ce un problème ? Nous pourrions penser que plus le nombre de follicules est grand, plus les chances d’expulser un ovocyte sont élevées. Mais ce n’est pas le cas. Pire, aucun de ces follicules en surnombre ne réussit à être sélectionné pour l’ovulation.
Des travaux autour de l’œstradiol, sélectionneur des follicules
Au début de ma thèse, ma première hypothèse de travail fut de penser que les follicules des femmes atteintes de SOPK ne produisaient pas d’œstradiol, ou alors en quantité insuffisante, ou encore que cet œstradiol n’était pas de bonne qualité.
C’était une piste légitime, puisque l’œstradiol est le grand sélectionneur des follicules par élimination. Un manque de production ou une mauvaise qualité d’œstradiol auraient donc pu être responsables de l’accumulation excessive des follicules dans les ovaires de ces femmes.
[Déjà plus de 120 000 abonnements aux newsletters The Conversation. Et vous ? Abonnez-vous aujourd’hui pour mieux comprendre les grands enjeux du monde.]
Pour infirmer ou confirmer cette hypothèse, nous avons collaboré avec le service de médecine de la reproduction de l’Hôpital Antoine Béclère à Clamart dans les Hauts-de-Seine, et avons récolté des échantillons de follicules d’une cinquantaine de femmes atteintes de SOPK.
Nous avons procédé à plusieurs tests biologiques et réalisé de nombreuses expériences sur ces échantillons. Et finalement, les résultats ont infirmé cette première hypothèse. Chez les femmes atteintes de SOPK, les follicules produisent bien de l’œstradiol, en quantité normale et de bonne qualité. Donc le problème n’est pas là.
Dans le SOPK, une protéine bloque l’œstradiol
Nous avons poursuivi nos investigations en analysant de plus près la composition en protéines des follicules. Nous avons ainsi pu démontrer que les follicules de ces femmes produisent des quantités anormalement élevées d’une protéine qu’on appelle NCOR1.
NCOR1 est une protéine d’une extrême complexité. Son rôle physiologique s’exerce dans la quasi-totalité des tissus du corps humain et consiste à empêcher la production excessive d’autres protéines, comme un frein de production. Or il s’avère que NCOR1 est produit en trop forte quantité dans les ovaires de ces femmes. Cela signifie donc que le frein de production de protéines est trop fort.
Et il se trouve que ce frein bloque complètement l’action de l’œstradiol. Car même l’œstradiol, aussi puissant soit-il, a besoin de protéines pour agir. En freinant la production des protéines partenaires de l’œstradiol, NCOR1 l’empêche de sélectionner le follicule qui arrivera à maturité et libérera son ovocyte. Trop de frein, pas assez de protéines, pas d’action de l’œstradiol, pas de sélection, pas d’ovulation.
Maintenant que cette protéine a été identifiée, il reste à réfléchir aux moyens de limiter son action de freinage, de manière à ce que l’œstradiol puisse jouer son rôle de sélectionneur.
Quel rôle du surpoids ou de l’obésité associés au SOPK ?
Les troubles métaboliques induisent une diminution de la fertilité. La plupart des femmes atteintes de SOPK sont en surpoids, ou souffrent d’obésité. Nous nous demandons donc si cet excès de NCOR1 pourrait être due aux complications métaboliques rencontrées chez la majorité des femmes atteintes de SOPK.
Si tel est le cas, nous chercherons à identifier les acteurs métaboliques responsables de cette augmentation de la protéine NCOR1 et tenterons de freiner son activité localement dans les ovaires de ces femmes.
Si les troubles métaboliques ne sont pas impliqués dans l’augmentation de cette protéine, il nous faudra étudier l’impact de cette augmentation chez tous les profils (les spécialistes parlent de phénotypes) de femmes atteintes de SOPK, qui sont au nombre de quatre.
Le diagnostic du SOPK est en effet fondé sur l’existence de trois critères :
- 1/ l’aspect polykystique des ovaires (visible en échographie)
- 2/ l’hyperandrogénie, c’est-à-dire un excès d’hormones androgènes
- 3/ la dysovulation voire l’anovulation, c’est-à-dire un dysfonctionnement ou une absence de processus ovulatoire.
Il est nécessaire que deux de ces trois critères soient présents pour établir un diagnostic de syndrome des ovaires polykystiques. Cela permet de distinguer quatre phénotypes différents de SOPK : Phénotype A (1/2/3), Phénotype B (2/3), Phénotype C (½), Phénotype D (1/3).
Ainsi, dans les prochaines étapes de nos travaux de recherche, nous allons chercher à déterminer si le blocage de l’oestradiol par augmentation de la protéine NCOR1 peut être généralisé à l’ensemble des femmes atteintes de SOPK ou s’il concerne un phénotype particulier, en l’occurrence le phénotype de type D qui est celui de notre étude.
Clémentine Marie, PhD, Université Paris Cité
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.